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Fabrice Flipo : réponse à la préface de Jean-Marie Harribey pour le livre de Cyril di Méo

http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/soutenabilite/penser-developpement.pdf
Il y a bien, dans la décroissance, du new age, du deep ecology, des réacs et du relativisme, comme il y a du capitalisme, du relativisme, de l'impérialisme, des réacs et de l'utopisme technologique dans "le développement". Jean-Marie juge qu'il faut garder le terme "développement" parce qu'on pourra le tordre dans notre sens, contre les capitalistes, les relativistes, les impérialistes, les réacs et les utopistes technologiques. Tout ce qui lui est demandé est de souffrir d'autres avis que le sien sans verser dans la caricature. Personne ne dit que Jean-Marie est capitalistes, impérialiste etc. parce qu'il est pour le développement. Il suffit de faire de même avec les décroissance, c'est une question d'honnêteté.

Au-delà de ce point qui porte davantage sur les conditions du débat que sur le débat lui-même, j'attends toujours des arguments sérieux sur le sujet. Les raisons pour lesquelles la décroissance déplaît ne sont guère explicitées. On en reste au superficiel, voire à l'anathème permettant peut-être à son auteur de se mettre dans une posture séduisante vis-à-vis de certains publics (les syndicats). La critique n'est ni sérieuse ni fondée. Reposant avant tout sur l'amalgame, elle ne convainc guère.
Quand on prend les gens au sérieux, voici quelques contre-arguments qui montrent que les choses ne sont pas si simples : - l'anti-économisme confondrait économisme et capitalisme ? Je remarque tout de même que les marxistes n'ont jamais décrit leur système communiste (ou socialiste), sensé mettre un terme aux maux capitalistes... quelle est l'éthique qui règnerait dans un tel système ? comment on la met en place ? On n'en sait jamais rien, c'est le saut dans l'inconnu, un "autre monde"... L'éthique écolo-démocrate se développerait d'un coup quand on en finirait avec la propriété privée ?

C'est pour le moins surprenant. On a vu à l'est ce que ça a donné : les personnes qui sont arrivées au pouvoir avec les mots "démocratie" et "liberté" à la bouche ont finit par confisquer le pouvoir. Il y avait un excellent documentaire sur Mao la semaine dernière sur Arte. Ils avaient tout simplement oublié de penser le contrôle du peuple sur l'Etat - une paille. Le texte de Jean-Marie n'en vient pas à l'éthique, il s'en tient à la régulation collective sans examiner les motivations profondes des personnes qui font tourner la société... les gens peuvent ainsi rejeter les problèmes sur des "Grand Tout" comme "le capitalisme", qui est aussi mal défini que "le socialisme" qui devrait se produire (par miracle) si on appliquait les bonnes recettes marxistes... Alors, comment et pourquoi les gens deviennent-ils écologistes ? Pourquoi ne continueraient-ils pas à consommer sous prétexte que c'est "le capitalisme" le coupable ? C'est ça la question, quand on veut transformer la société. Sinon on ne fait que la commenter.

- Les partisans de la décroissance "naturalisent" les conditions sociales ? A nouveau la critique est faible car les écolos non décroissants sont eux aussi obligés de parler de "nature"... et donc de natualiser. La nature a ses interprètes, la norme est à la fois construite et donnée (voir Canguilhem, Le normal et le pathologique). Le débat n'est pas entre la médecine (science de la nature) et l'absence de médecine (dans un monde où la volonté serait illimitée et la médecine rendue inutile), débat purement théorique car un tel monde n'existe pas, mais entre telle médecine et telle autre médecine. Quand on définit un état du climat comme "normal", "naturel", on en fait un élément à respecter par la collectivité, on sort cet état de climat du territoire, de la possession de toute la société - et pas seulement des
capitalistes. Sans normes indépendantes, toutes les normes sont construites, tout est relatif, il n'y a plus de repères, plus d'éthique,
plus de sciences, plus rien... que le conflit des interprétations. Le relativisme est donc aussi du côté des "anti-naturalistes".

- la référence à la nature a l'avantage d'éviter la référence à la surnature, et quand vous avez 90% de la population mondiale qui croit à une forme ou à une autre de surnature (Bible etc.), vouloir jeter la nature avec l'eau du bain est quelque peu risqué. Bien sûr à nous d'éviter que ne se forment des "grand prêtres" de la nature et que ce qui est défini comme "la nature" reste accessible à tous, empirique, démocratie oblige. Mais ce risque est aujourd'hui proche de zéro. Par contre saper la référence à la nature, c'est saper les fondements de la démocratie, faire le lit de la surnature. Se faisant, se réclamer des Lumières est un contre-sens terrible : les Lumières se sont construits sur le droit naturel, la raison naturelle, c'est-à-dire des éléments indépendants du bon vouloir humain, cette indépendance garantissant leur
présence en chaque être humain, contre les thèses racises, esclavagistes etc. qui n'attribuaient la raison qu'à quelques-uns... C'est Jean-Marie, ici, qui jette les Lumières par-dessus bord. L'invocation du socialisme, à nouveau, ne nous dit rien - une nouvelle fusion dans le Grand Tout Social qui résoudrait toutes les contradictions ? On peut comprendre ces propos dans ce sens. Harribey s'en défendra, dira que c'est un procès d'intention, mais les partisans de la décroissance feront de même... alors ? Qui a raison ? Un juste analyste, examinant les choses de manière impartiale, devrait donc y regarder de plus près avant de condamner les uns et pas les autres !!! En attendant cela attise la division dont profite nos adversaires communs...

- bien sûr que non, ni Ellul ni Charbonneau n'ont prôné l'espace individuel comme SEUL et UNIQUE espace de transfo sociale, c'est
inexact, il suffit de se reporter à leurs textes pour s'en rendre compte. Il ont dit que la transfo personnelle est une condition de la transfo sociale, ce n'est pas pareil (voir "Ecologie et liberté" de Cérézuelle). Et ils ont travaillé sur les modalités de cette transformation - et si certains n'ont guère été plus loin, ce n'était pas parce qu'ils niaient l'intérêt de la transfo sociale mais parce que, comme Charbonneau, parce qu'ils n'en ont pas trouvé de modalités satisfaisantes. La transfo personnelle est une étape nécessaire : comment pourrait-on changer la société avec des personnes qui veulent conserver cette société ?... Le recours au "collectif", "social" etc.
comme des forces surplombantes, dotées de la toute-puissance qui éviterait aux gens d'avoir à se poser des questions sur leurs actions a quelque chose de totalitaire ou de magique. "Il suffirait" de faire sauter un petit verrou comme la propriété privée, par exemple, pour que le bon peuple et les bons dirigeants remettent la société à l'endroit ?

C'est de la pure fantasmagorie. La démocratie ne sort pas plus du chapeau que la division du travail nécessaire à l'industrie. Elle n'est pas innée, donnée de manière indépendante, "naturelle". Elle n'apparait pas spontanément quand on retire les obstacles supposés l'empêcher d'exister. C'est le résultat de la mise en place patiente d'institutions. En négligeant ce travail, au profit d'une focalisation excessive sur l'échange économique, on fait le lit des totalitarismes.

- il est faux de dire que les décroissance font la critique du capitalisme au nom du passé... c'est une caricature. A nouveau c'est comme dire que les partisans du développement sont tous des capitalistes parce que les capitalistes sont partisans du développement. On ne peut débattre avec des gens qui caricaturent que par la caricature. Qui y gagne ?

Fabrice Flippo

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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