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L’homme qui voulait décroître

Il n’a plus de frigo et a jeté sa télé. Vincent Cheynet pratique la décroissance et c’est depuis un téléphone fixe que l’ex-publicitaire repenti tente de convaincre les Savoyards que consommer ne fait le pas le bonheur. C’est pas gagné.

Ça vous dirait de vivre sans frigo ? Lui, ça fait quelques années qu’il l’a débranché. Il pratique la simplicité volontaire. Quoi que se passer de frigo, ça ne parait pas simple. « Mais si, assure Vincent. J’achète régulièrement des produits frais. Et l’hiver, j’utilise une pièce froide. » Faut déjà disposer d’une pièce disponible… Ancien publicitaire ayant viré de bord, Vincent Cheynet est le rédacteur en chef du journal La décroissance. Il revient d’une marche d’un mois l’ayant mené, avec ses amis, jusqu’au Grand-Prix de F1 de Magny-Cours. Le paroxysme, selon lui, de notre société en perdition. Ils réclamaient donc la suppression de votre course du dimanche après-midi. C’est pour parler d’une civilisation, la nôtre, en train d’anéantir ses ressources que l’on a invité ce Lyonnais. Au sein d’une mouvance pensant déjà à la présidentielle de 2007, il prône la décroissance économique. Une d’utopie ? Sans doute. Mais croire que le pillage de notre terre mère soit durable indéfiniment, c’est quoi ? Alors même si ça vous faire sourire, écoutez le. Parce que qui sait ? Si ça se trouve, des bien plus méchants que lui arrêterons les beaux discours et viendrons bientôt brutalement nous couper les vivres. Une fois que la véritable pénurie sera là.

Vincent Cheynet, en quoi consistait votre marche pour la décroissance ?

Elle s’inscrivait dans la filiation des marches non violentes menées par Gandhi ou Martin Luther King. La non-violence est l’esprit de la décroissance. Notre volonté première est de sortir de la guerre économique.

Mais quel était le but de la marche ?

Sensibiliser nos contemporains à la nécessaire décroissance, car il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde limité. Et témoigner du fait qu’il faut sortir de l’idéologie de croissance, de l’idée d’un monde au développement, fût-il durable, sans limite. Cette idéologie, qui appartient au capitalisme mais était aussi celle du système communiste, est destructrice pour la nature. Mais c’est aussi une machine à faire régresser l’humain à l’âge du sein, celui de la pulsion à laquelle on répond de façon immédiate.

Vous dites ne plus aimer le terme « écologiste » car il serait trop concret. Mais les gens demandent du concret aux politiques…

Le concret n’est pas quelque chose de négatif, c’est même très important. Mais c’est second. On s’appuie sur le concret en disant qu’on ne peut continuer la croissance quand 20% de l’humanité consomment 86% des ressources naturelles. Pour vivre sur ce train de façon pérenne, il faudrait deux planètes. Je pars d’une démarche concrète et me rends compte que nous sommes dans un monde irrationnel. Mais il faut sortir de là, car cette crise écologique n’est que le reflet d’une crise des valeurs. Nous sommes dans l’inversion des valeurs, dans une société qui appréhende la consommation non plus comme un moyen, mais une fin en soi. La techno-science ne repose plus sur le doute, elle devient une véritable religion inconsciente, une croyance. La charité n’est plus seconde derrière la volonté de justice, mais devient première. Cette crise des valeurs nous amène à détruire la biosphère. Mais si nous ne comprenons pas la dimension immatérielle, nous resterons cloisonnés dans les conséquences sans en comprendre les causes. Nous resterons à des solutions techniques et apporterons comme remède ce qui fait notre maladie.

Vous êtes à contre-courant de tous les partis. Tous présentent la croissance comme l’objectif ultime…

Pourtant, les sociétés pérennes sont celles qui ont eu la capacité de s’autolimiter. Tout au long de l’histoire, les philosophes ou les courants spirituels qui ont permis à l’homme de se structurer lui disaient de s’autolimiter. Cela va d’Epicure à François d’Assise en passant par Ghandi. Il ne faut pas penser que la décroissance est un discours de marge. Le discours marginal est celui de la croissance, mais il apparaît comme majoritaire car c’est la réalité de ce phénomène social.

N’est-il pas contraire à la nature humaine de vouloir décroître ?

On pourrait aussi dire que la nature de l’homme est de faire la guerre, de se livrer à toutes ses pulsions les plus archaïques. Mais la réalité de la condition humaine, c’est d’avoir la capacité de contrôler ces pulsions pour que notre humanité prenne le dessus.

A vous lire, vous semblez attendre avec impatience la fin du pétrole…

Non. Sur le site de l’ASPOG, le plus grand organisme mondial sur le pic du pétrole, j’ai découvert des textes quasiment nazis, issus d’un colloque qui vient d’être organisé. Des esprits délirants se disent que la fin du pétrole est une aubaine pour appliquer leurs théories eugénistes. Un Anglais dit qu’il faut passer, en Angleterre, d’une population de 62 à 2 millions en 150 ans. Il appelle à un darwinisme social total. L’élimination de tous les faibles. Alors c’est vrai que la fin du pétrole représente une occasion d’aller vers une société qui sorte de cette inversion des valeurs pour devenir plus juste, plus démocrate, plus humaniste. Mais ça pourrait aussi engendrer la barbarie ou le pire des totalitarismes.

Les énergies alternatives sont-elles une solution pour remplacer le pétrole ?

Tout le monde s’entend pour dire qu’il n’y a pas d’alternative au pétrole quant à sa rentabilité énergétique. Et certainement pas l’hydrogène, qui offre un rendement extrêmement faible. Maintenant, si nous voulons vivre d’énergie renouvelable, les Etats-Unis devront diviser par dix leur consommation énergétique, l’Europe par cinq.

Au quotidien, c’est quoi vivre la décroissance ?

Il n’y a aucun comportement pur. On est tous dans des compromis entre la direction dans laquelle nous voulons aller et le monde tel qu’il est. Il faut juste tendre vers la simplicité volontaire.

A quoi avez-vous renoncé ?

A l’automobile, à la télévision, au téléphone portable, au réfrigérateur, aux appareils électriques de la cuisine… Mais j’ai une machine à laver le linge. Je ne prends pas l’avion, mais ce n’est pas un renoncement. Ne pas avoir de voiture, c’est même une libération car cet objet coûte cher et accapare l’esprit.

Se passer de voiture, c’est possible à Lyon. En Savoie, c’est plus difficile…

A chacun de trouver des équilibres. Le problème de notre société des objets, c’est qu’elle naturalise des choses artificielles. On a grandi dans le monde automobile et les voitures nous semblent aussi naturelles que les arbres. Mais le problème vient aussi de l’aménagement du territoire. Il faudrait en concevoir un où il n’y aurait plus besoin de voiture alors qu’en cinquante ans, la France a perdu la moitié de son réseau ferré.

En Savoie, le transport routier pose problème. Et de Chamonix à la Maurienne, des gens en viennent à s’interroger sur leur mode de consommation symbolisé par les camions…

Le côté positif, c’est qu’on se rend compte que le ferroutage, c’est encore une solution technique qui ne change rien au système. On continue à manger des tomates ou des fraises en hiver, des choses produites à l’autre bout de la planète ou de l’Europe. Alors bien sûr, le ferroutage peut être intéressant, mais ce n’est pas la priorité. C’est une réponse technique à un problème politique. La réponse politique est la re-localisation et la diminution de la production. Avoir une production de plus grande qualité au dépend du quantitatif.

On traite dans ce numéro du problème des déchets. Que pensez-vous de notre façon de les gérer ?

Plutôt que d’essayer de traiter un volume de déchets qui, je crois, représente chaque année en France la masse du Mont-Blanc, essayons de réduire les déchets à la source.

On évoque de plus en plus le recyclage…

Nous sommes surtout dans la civilisation du jetable. La bouteille plastique est en train de conquérir le marché chinois. Imaginez la masse de déchets produite par un milliard six cents millions de personnes qui se mettent à consommer de l’eau en bouteille plastique. Ce sont des volumes qui ne sont pas traitables.

Vous dites civilisation du jetable, mais on parle aussi d’Ecoparc, de retraitement ou de développement durable…

Il y a énormément de campagnes et d’articles dans la presse, mais la réalité est tout autre. C’est comme le commerce équitable. Cela représente 0,008% du commerce international, mais il y a plein d’articles. Cela donne un effet loupe complètement déformant. On a l’impression que ces initiatives charitables sont importantes alors qu’elles sont infinitésimales. Et on oublie que la réponse n’est pas ce genre de micro-initiatives, mais une régulation du commerce international.

En mettant des droits de douane et en arrêtant le libre-échange ?

Complètement. Mais le plus important, c’est de renforcer les taxes sur les carburants. Le pétrole n’est absolument pas payé aujourd’hui à son coût réel.

C’est pas ce que je me dis quand je fais le plein…

Un litre de pétrole, c’est 23 tonnes de matières organiques qui ont composté pendant un million d’années. C’est une ressource non renouvelable. Pour aller le chercher, il faut mettre en place des dictatures, envoyer l’armée états-unienne pour protéger son extraction, l’acheminer jusque chez nous. En le brûlant, on émet du gaz carbonique qui détruit la nature et remet en cause notre capacité à exister sur la planète. Si on prend toutes les externalités du coût du pétrole, son prix n’est rien par rapport au coût réel pour notre monde. Il pourrait être dix fois plus cher.

Déjà qu’il y a un gros ras-le-bol, si le litre d’essence coûte dix euros, ça sent l’émeute...

Moi non plus, je n’aime pas payer les choses trop cher, mais quel est le plus important ? Faire front à la réalité du monde ou voir des gens qui arriveront au pouvoir pour appliquer une politique autoritaire comme le type de Grande-Bretagne ?

Entretien : Brice Perrier

Phrase sorties :
« Nous sommes dans une société qui appréhende la consommation comme une fin en soi. »
« La fin du pétrole pourrait engendrer la barbarie ou le pire des totalitarismes. »

 

Le conseil de Francis Kuntz

En direct de Mufflins, Francis donne à Vincent une leçon de simplicité volontaire.

S’inspirer de Ghandi à l’époque où la philosophie est brillamment représentée par Paris Hilton n’est-il pas désuet, mon petit Vincent ? Et pourquoi pas Teilhard de Chardin pendant qu’on y est ? ( Moi aussi, je peux étaler ma culture, monsieur ! Même si je ne suis pas sûr de comment qu’on l’écrit.) Refuser de manger des fraises en hiver ne relève-t-il pas d’un anti-épicurienisme étriqué ? Ou alors c’est parce qu’on n’a pas les sous et qu’on est jaloux ! Comme le disait Lafontaine : « Ils sont trop verts » ! ( Et de deux ! )

L’air que nous joue Vincent est archiconnu : pas de télé, pas de frigo, pas de portable. Mais Vincent y ajoute des nuances perfides genre le pétrole, c’est pas bien, mais ça nous oblige à prendre conscience de notre dépendance énergétique. Comment la brave ménagère perdue dans son Hérault, bien profond, peut-elle comprendre un traître mot de ce discours victime de TOC, qui virevolte trois fois sur le palier avant de se décider ?
Cessez donc de tourner cent fois autour de vos nu-pieds, monsieur le néo-écolo ! Jouez-la cool et claire.

Mon conseil est en effet de retrouver de la fraîcheur populaire dans la théorie et l’action. Eviter les mots de plus de deux syllabes et devenir candidat à Fort Boyard, par exemple.
Tapie, Berlusconi, Patrick Sébastien : voilà de vrais communicants qui savent faire passer leurs idées au peuple. Bien sûr, avec des gros nichons, c’est encore mieux, mais on ne peut pas tout demander d’un seul coup.

Francis Kuntz

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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