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Point d'efficacité sans sobriété
Mieux vaut débondir que rebondir

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Services ultra-performants, «hyper-voitures» légères et peu polluantes, lampes économes, mini-ordinateurs, mini-caméras vidéo, éoliennes et capteurs solaires, matériaux ultra résistants, on ne compte plus les innovations qui permettent de consommer toujours moins de matière et d'énergie pour chaque service rendu. De nombreux experts considèrent ainsi que la «cure d'efficacité» sera la solution à tous les problèmes écologiques. Une seule malchance jusqu'à présent : il semble que les baisses d'impacts et de pollution attendues soient systématiquement anéanties par l'augmentation des transports, du chauffage, des surfaces d'habitation, de la climatisation, des importations de produits exotiques, des besoins et de la consommation en général...

Mauvaise chance diront certains. On a longtemps cru que le niveau de consommation était indépendant de l'efficacité. Pourtant, un concept qui prend de l'importance récemment (1), «l'effet rebond», nous apprend que l'efficacité et le progrès technologique sont fondamentalement liés à une augmentation de la consommation. Les voitures économes nous permettent d'aller plus loin pour le même prix ; les transports rapides nous libèrent du temps pour avaler toujours plus de kilomètres ; les produits électroniques de tailles réduites nous permettent d'en offrir à chaque membre de la famille (2) ; le développement du solaire et de l'éolien même permettent d'augmenter toujours plus notre consommation d'énergie malgré la raréfaction de certaines ressources. En résumé, les industries et les services toujours plus efficaces nous permettent de consommer toujours plus.

Bien sûr, nombre de ces développements sont primordiaux et sont potentiellement de grandes avancées écologiques, et il ne s'agit pas ici de dénigrer tout effort pour plus d'efficacité. Mais, il importe de se rendre compte, pour supprimer cet effet, des liens qui existent avec l'accroissement de la consommation en général. Le problème n'est pas l'efficacité et les efforts pour réduire les impacts pour chaque produit ou service, mais le fait qu'ils soient trop souvent réalisés dans le contexte d'une volonté d'accroissement de la consommation, pour vendre plus ou pour les soi-disant bienfaits d'une économie de croissance.

 

Ne pas oublier «Liberté, égalité, fraternité»

Ainsi les discours continuent qui soutiennent l'augmentation de la consommation même dans nos pays à grande consommation qui sont dits «développés». Cela s'est traduit récemment par des appels à la défense de nos modes de vie mis en danger lors des attaques du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Le message semble être : «faites de la résistance, achetez n'importe quoi mais achetez». La consommation des ménages serait, en ces temps difficiles, le principal soutien de la croissance économique.

Or aller vers une société «soutenable» impose de réduire notre niveau de consommation sans qu'il n'y ait besoin de sombrer dans un fondamentalisme religieux ou autre. La consommation de produits et services nécessite des ressources naturelles (énergie, matières premières, et espace) qui sont à la source du changement climatique, de la pollution des milieux, de la baisse de biodiversité, de la destruction des espaces naturels, des environnements dégradés, des risques nucléaires voire génétiques pour ne citer que quelques effets. Et tandis que les médias et politiciens nous parlent d'écologie et de problèmes environnementaux et participent à de nombreux colloques, le niveau de consommation qu'ils soutiennent par leurs discours ou par leur politique continue d'être la raison principale de l'accroissement des problèmes écologiques. Nos politiciens et experts seraient-ils donc atteints de schizophrénie lorsqu'ils réussissent ainsi à embrasser de la même bouche l'écologie et la consommation ?

Car le problème est important et de nombreux experts (3) et responsables politiques s'accordent, pour se limiter à un ordre d'idées réaliste, que les consommations de ressources devraient diminuer au moins de moitié dans le monde. Le problème n'est pas tant la pénurie de ressources que les dégâts causés par l'utilisation de l'espace, la mise en circulation dans l'économie d'énormes quantités de matière et d'énergie, et, à terme, les émissions et multiples conséquences. L'idée est de ne pas dépasser la «bio-capacité» de la planète, car «l'espace environnemental» est limité. Autrement dit, notre niveau de consommation actuel nécessite au moins deux planètes si on les veut viables durablement.

Un problème encore plus immense apparaît lorsque l'on combine problèmes écologiques et problèmes sociaux, liés de fait aux inégalités planétaires. Nous avons écrit sur toutes les écoles et mairies : «liberté, égalité, fraternité». De ce deuxième principe, nous déduisons que tout être humain devrait avoir droit à une quantité de ressources du même ordre (4). Or, on évalue que les pays «riches» consomment environ 80% des ressources alors qu'ils ne composent que 20% de la population mondiale (5), c'est-à-dire approximativement 16 fois plus de ressources que les pays «pauvres» par habitant.

Pour se faire une petite idée, voici un scénario simpliste pour l'année 2050. On considérera une consommation de niveau équivalent dans le monde entier pour chaque personne (indispensable si on veut éviter un scénario «dictature mondiale» qui serait en désaccord avec le principe de liberté que l'on peut aussi lire sur le fronton des écoles). On considérera également une importante croissance démographique dans les pays du tiers-monde (la population augmente de 60% d'ici 2050 (6)). Ces pays vont multiplier leur consommation (aujourd'hui encore relativement faible) par 24. Si nous faisons les calculs, cela signifie qu'il nous faudra 12 planètes si nous les voulons viables à long terme. Ainsi pour réduire de moitié la consommation mondiale actuelle de ressources, nous devrons réduire la consommation dans les pays riches de 12 fois tandis que les pays du tiers-monde pourront la doubler.


Figure 1 :
Nombre de planètes Terre viables à long terme nécessaires dans la situation actuelle (2002), puis lorsque les consommations de ressources naturelles s'équilibrent dans le monde et lorsque la population des pays " pauvres " augmente de 60%.

 

5 % d'économie pendant 50 ans

Mais un phénomène supplémentaire se produit : non contents de consommer au niveau actuel qui entraîne le monde dans une «consommation de planètes», les pays industrialisés tiennent encore à leur croissance économique. Allons-nous continuer la sacro-sainte croissance dans les pays riches ou allons-nous décroître ? Comme cela s'est toujours produit ainsi, nous supposons que la croissance économique suit la consommation de ressources (ce présupposé sera discuté plus en détails dans la suite).

Nous considérons deux scénarios : le scénario «croissance» où une croissance matérielle relativement faible de 2% se produit pendant les 48 prochaines années, et le scénario «décroissance» où une décroissance de 5% se produit pendant ces années. Le premier scénario nous amène à 30 fois au-delà d'un niveau viable et le second nous ramène (en faisant attention à réaliser cette évolution de façon soutenable par une croissance, sinon un maintien, du bien-être et de la qualité de vie) à une planète viable de façon durable.

Figure 2 : Nombre de planètes requises lorsque la consommation croît de 2% par an jusqu'en 2050 et lorsque la consommation diminue de 5% par an jusqu'en 2050 dans les pays industrialisés. Grâce à la " décroissance soutenable " nous n'avons besoin que d'une seule planète.

En sachant cela, comment nos politiciens peuvent-ils donc continuer à parler de développement durable et de croissance économique sans aucun tremblement dans la voix ? Cela s'explique parce qu'ils croient que les problèmes vont se résoudre par le développement économique et la croissance, qu'une cure d'efficacité pourra résoudre tous les problèmes. Cela s'explique aussi par une grande omission des phénomènes dynamiques qui régissent l'écologie en lien à la consommation de ressources.

Kuznets était-il une cloche ? En tout cas, une courbe de cette forme (figure 4, page 16) et qui porte son nom, laisse croire que les problèmes environnementaux vont simplement se résoudre avec la croissance économique. Cela part de la constatation que certains problèmes locaux, comme la pollution atmosphérique en zone urbaine et la pollution des rivières, semblent se réduire lorsqu'un pays devient suffisamment riche. Au-dessus d'environ 8000 euros de PNB par habitant, l'environnement s'améliorerait continuellement avec la croissance. C'était une belle histoire qui permettait de se croiser les bras et d'attendre que le marché nous sauve. Le problème est que cela ne marche pas au niveau des impacts globaux (7). Par exemple, les émissions de CO2 (gaz carbonique) et les transports suivent l'enrichissement de façon relativement linéaire. Mais pire, il semble que les consommations de ressources suivent de façon quasi linéaire le PNB, si nous n'oublions pas les impacts que nous exportons c'est-à-dire les impacts causés dans d'autres pays (le plus souvent du tiers-monde) par le cycle de vie de tous les produits que nous consommons. Les riches exportent ainsi leurs usines polluantes et leurs déchets et importent une bonne part de leurs ressources naturelles. Une bonne illustration est la ville riche peu polluée grâce aux voitures électriques. La richesse aura en effet permis de réduire la pollution atmosphérique locale mais certainement pas la pollution ou autres effets au niveau global (effets résultant de la production de toutes ces voitures, toutes ces batteries, toute cette électricité, ou résultant de la société des supermarchés et des autoroutes qui risquent de se développer en marge de ce type de ville).

Figure 3 : Cercle infernal de la consommation, trouvez l'erreur, les problèmes créés par la croissance vont-ils réellement se résoudre par la croissance ?

Figure 4 : Evolution de la consommation d'un pays en fonction du PNB suivant trois théories : le couplage total où la consommation augmente linéairement avec le PNB ; un certain découplage ; un découplage total avec la théorie de la courbe de Kuznets. Si le PNB continue à croître dans les pays riches comment évoluera la consommation ? L'effet rebond rend le découplage très difficile et en tout état de cause insuffisant ; et la théorie " fumeuse " de la courbe de Kuznets représente un mirage bien dangereux.

Quelques éclaircissements sont nécessaires concernant la croissance. Quand on parle de croissance, on veut en principe parler de la croissance économique. Mais trois aspects sont trop souvent entremêlés (volontairement ?) : l'économie (mesurée par le PNB ou produit national brut), le niveau de consommation de ressources naturelles (mesuré par les matières, énergie ou espaces extraits de la nature) et le bien-être/qualité de vie.

De nombreux indices ont été développés pour mesurer le bien-être. C'est ce bien-être que l'on voudrait voir croître ou au moins se stabiliser. Le PNB n'est que la valeur des produits et services échangés. Cela ne représente rien de fondamentalement négatif mais rien non plus de fondamentalement positif : l'augmentation des accidents et des maladies par exemple est un moyen de croître économiquement. La croissance matérielle est une augmentation de la consommation de ressources naturelles, elle représente une augmentation des impacts écologiques. Jusqu'à un certain point, elle peut être liée à une croissance de la qualité de vie, mais lorsque les impacts deviennent trop importants, elle la réduit. Depuis les années 70, la croissance ne semble plus accroître la qualité de vie, principalement à cause de la croissance des dégâts écologiques et sociaux.

 

Augmenter la valeur, pas le nombre

Jusqu'à aujourd'hui, la croissance économique a toujours signifié que l'on extrait toujours plus de ressources naturelles. La croissance économique est alors corrélée (ou «couplée») à la croissance «matérielle» (si on prend en compte les effets hors des frontières). Et pour cela elle représente quelque chose de négatif, lié à toutes sortes d'impacts écologiques.

Pourtant il y a deux manières de faire croître l'économie :

Þ par une augmentation globale de la valeur des produits et services échangés : en augmentant le prix des pièges à souris par exemple ou des kilomètres parcourus en auto, et un peu des revenus (équitables) en même temps. On pourrait aussi reconnaître une valeur à de nombreuses formes d'art et au travail bénévole ;

Þ par une augmentation du nombre de produits ou services échangés : en augmentant le nombre de pièges à souris vendus ou le nombre de kilomètres de transport.

«Découpler» la consommation de ressources de la croissance économique pourrait se faire de façon artificielle et relativement bénigne par la première manière. De façon générale, la croissance économique serait possible avec une baisse de la consommation de ressources, mais cela impliquerait de transformer de fond en comble le fonctionnement de l'économie. Mais ce n'est pas de cette économie-là dont parlent les médias et les dirigeants.

Nos experts parlent bien d'augmentation du nombre de produits ou services échangés comme étant importante pour la croissance. La croissance de la consommation d'énergie et des transports est déjà prévue. Au lieu d'augmenter, la valeur des produits et services tendent à baisser à service équivalent pour créer une augmentation de la demande. Reste donc la cure d'efficacité, chaque produit ou service doit réduire son impact de façon très importante pour contrebalancer l'augmentation de leur nombre. Pourtant, cette méthode a prouvé son incapacité jusqu'à maintenant : aucun découplage ne s'est jamais produit au niveau global malgré les discours dans ce sens. Et elle reste vouée à l'échec dans le contexte actuel si l'on considère l'effet rebond. Le découplage entre croissance économique et croissance matérielle risque d'être bien insuffisant voire inexistant.

 

L'effet rebond (8)

Le concept d'effet rebond est apparu aux temps de la première crise pétrolière, quand de nombreuses techniques d'économie d'énergie ont vu le jour. Des scientifiques ont alors relativisé les gains obtenus par les techniques d'économie d'énergie en calculant les augmentations de consommation liées à ces nouvelles techniques. Les lampes économes, par exemple, tendent à être utilisées plus longtemps que les lampes normales parce qu'elles coûtent moins cher à l'usage. L'effet rebond est alors défini comme «une augmentation de la consommation d'un produit ou service dû à une réduction de son prix de revient». Il s'est avéré que ce problème n'est pas si important dans le domaine énergétique mais une brèche a été taillée dans la sacro-sainte efficacité censée résoudre tous les problèmes écologiques.

Figure 5 : l'innovation ou l'éco-innovation de produit sert bien souvent à réduire les limites (financières par exemple) de notre consommation, créant un effet rebond par une augmentation de la consommation jusqu'à ces nouvelles limites.

Puis le concept d'effet rebond s'est élargi pour prendre en compte les augmentations de consommation qui se reportent sur d'autres produits ou services. Par exemple, les gains des économies d'énergie pourront être utilisés pour voyager. De façon encore plus large l'effet rebond prend en compte les changements d'équilibres économiques et de plus larges transformations de la société. Par exemple, acheter une voiture soutient le réseau routier face à d'autres alternatives ce qui a pour effet une réorganisation de la société et va par exemple favoriser les supermarchés face aux petits commerces et créer encore plus de consommation.

Tableau : Mesures politiques pour " débondir ".

Et le concept s'est étendu à d'autres aspects que les coûts directs, tels que la notion de temps. Par exemple, les moyens de transport rapides, censés économiser du temps, amènent un accroissement des distances parcourues qui, non seulement ne font alors plus gagner de temps, mais augmentent d'autant plus l'usage de ce moyen de transport et les impacts qui en découlent.

Le mécanisme responsable est cette fixation à innover non pas réellement pour un bien-être écologique et social mais pour supprimer les limites à une augmentation de la consommation. En effet, réussir à vivre de façon frugale implique en premier lieu d'être conscients de nos limites, de façon à se limiter à ce dont nous avons vraiment besoin. Nous éviterons un achat, nous limiterons l'usage d'un produit, s'il nous coûte trop cher, si nous n'avons pas le temps de l'utiliser, s'il est trop dangereux, s'il nous demande trop d'efforts, s'il risque de nous ruiner la santé, s'il utilise trop d'espace, si son poids est trop important. L'innovation tend justement à réduire toutes ces limites et à le promouvoir dans des publicités. Les produits deviennent bon marché, rapides, sûrs, sans effort, bons pour la santé, légers et petits, ou bons pour l'environnement. Alors pourquoi se limiter ? A terme cette augmentation de consommation peut supprimer les bénéfices attendus et amener d'autres problèmes. Ainsi, les voitures nous permettent de voyager plus mais nous supprimons alors le temps que nous étions censés gagner et nous créons de la pollution, du bruit, des mortsŠ De même, les technologies de l'information amènent de fait un accroissement de la consommation de papier et des transports, de par l'augmentation des communications. On retrouve ce problème dans le domaine de la sécurité même, l'airbag tend à créer plus d'accidents car les automobilistes se sentent en sécurité pour rouler plus vite. Les mesures anti-congestion en augmentant la capacité créent un appel d'air, une demande, pour plus de trafic avec toutes ses conséquences environnementales, et un nouvel embouteillage se créera à un niveau de circulation plus élevé.

Défini de façon très générale, l'effet rebond est l'augmentation de consommation liée à la réduction de ce qui limite l'utilisation d'une technologie.

Il serait très hypocrite d'expliquer que l'effet rebond est une grosse malchance et que les industriels rêvaient d'une stabilisation de la consommation. Non, l'effet rebond est un effet voulu pour augmenter les ventes et les profits par augmentation de la demande. Ainsi il a été planifié que le TGV permettrait d'augmenter les déplacements d'une manière considérable entre Paris et Lyon, c'est aussi un effet espéré qu'Internet permette, grâce à son efficacité d'augmenter les ventes de produits en valeur absolue. De même les économies d'échelle ne sont pas conçues pour l'écologie mais pour vendre plus tout simplement.

 

L'écologie, c'est débondir !

Mais le rebond n'est pas inévitablement lié à l'efficacité et aux produits écologiques. Un produit ou service écologique peut créer d'autres limites à la consommation et par là même créer un effet «débond» cette fois-ci. Par exemple, les déplacements utilitaires à vélo tendent à réduire les kilomètres parcourus, et à consommer relativement moins. Le partage d'automobiles tend à réduire leur usage. Des activités comme le jardinage, la randonnée, les longs repas sont extrêmement écologiques car leur lenteur réduit le temps disponible pour d'autres activités plus polluantes. Acheter des produits chers de bonne qualité, ou bons pour la santé comme les produits biologiques nous font «débondir» en rendant notre budget inutilisable à l'achat de produits de mauvaise qualité et polluants. D'une façon générale, toutes les activités qui prennent du temps, demandent un certain effort ou nous coûtent cher (pour de la bonne qualité) sont les meilleures pour éviter le rebond. La question que l'on est en droit de se poser est de savoir comment convaincre les entreprises de laisser de côté leurs stratégies de pousser à toujours plus de consommation (que ce soit des produits ou des services) car cela semble à la base de leur façon de fonctionner.

Les solutions politiques foisonnent. Cet effet rebond qui ruine les avancées écologiques devrait être documenté, et l'information diffusée, notamment en publiant les informations sur les choix les plus écologiques par euros à dépenser ou par heure d'activité. Une autre possibilité est de limiter les extractions de ressource à la source par des quotas qui réduisent au fur et à mesure pour l'extraction de chaque ressource ou au moins pour les importations, ce qui permettrait de limiter de plus en plus les extractions de pétrole, de métaux, de bois... Ceci aurait pour effet d'augmenter leur prix, et donc de permettre à ceux qui vivent de l'extraction de ces ressources de gagner autant en travaillant moins. Une autre mesure complémentaire est de créer des «réserves de ressources naturelles», des espaces où les ressources seraient laissées à jamais, comme dans les parcs nationaux, mais ceux-ci sont bien trop limités. La baisse du temps de travail permet de réduire les revenus et donc les consommations tout en rendant possibles les activités lentes et l'auto-production. Les éco-taxes permettent «d'internaliser les externalités» (intégrant par exemple le coût des marées noires dans le prix du pétrole). Elles permettent aussi d'augmenter de façon générale les prix des produits pour réduire le rebond. Une autre solution serait la mise en place de nouvelles limites artificielles pour remplacer celles qui sont réduites par les innovations de produits et services. Cela est possible par exemple en maintenant des niveaux de capacité réduite sur les routes ou en favorisant le niveau local dans les communications et les échanges.

Figure 6 : Frugalité et (éco-) efficacité sont intimement liées et on ne peut se focaliser sur un seul des deux si l'on espère une réduction des problèmes écologiques.

L'innovation de style de vie frugal

L'innovation s'est focalisée sur les produits et les services, et a créé cet effet rebond. Il est un domaine où l'innovation peut vraiment porter ses fruits : c'est le domaine des actions personnelles. L'innovation de produits ou services doit laisser place à «l'innovation de style de vie» pour une réduction de nos consommations. Dans cet ordre d'idées et par rapport aux appels aux «consommateurs-soldats», il importe de refuser de participer, de déserter le style de vie consommateur pour qu'un autre type d'économie se développe basé sur l'entraide, la convivialité, la réponse aux vrais besoins et non pas ceux créés par la publicité et la mode. Cette économie ne serait pas basée sur cet apport toujours plus important de ressources naturelles avec les problèmes écologiques et sociaux qui en découlent.

 

François Schneider

Remerciements à Marion Charrier pour sa relecture et un lieu de travail propice à la « débondade ».

(1) Sanne C, Energy Policy, 2000, 28 (6-7): 487-96; Greening, LA et al., Energy efficiency and consumption- the Rebound Effect- a survey, Energy Policy, 2000, 28(6/7), p. 389-401; Mathias Binswanger, Technological progress and sustainable development: what about the Rebound Effect? Ecological Economics 36 (2001) 119-132.
(2) Schneider, Mesicek, Hinterberger, Luks. «Ecological Information Society - Strategies for an Ecological Information Society» dans «Sustainability in the Information Society», Hilty, M.L., P.W.Gilgen (Eds.), part 2, p.831-839, Metropolis-Verlag, Marburg.
(3) Voir par exemple les travaux de l'institut Wuppertal ou du Sustainable Europe Research Institute: www.seri.at.
(4) Une fois ce problème résolu nous pourrons aussi nous attacher à mieux partager les moyens d'utiliser toutes ces ressources, de nombreux brevets indispensables sont par exemple détenus par les pays riches au mépris de nos principes d'égalité.
(5) F. Schmidt-Bleek, The Factor 10/MIPS concept- Bridging Ecological, Economic, and social Dimensions with Sustainability Indicators. Ces chiffres datent et la situation semblerait avoir empiré, mais nous les adoptons en gardant en mémoire que ces calculs sous-estiment certainement la gravité du problème.
(6) US Bureau of the Census, Base de données internationale, www.census.gov/ipc/www/worldpop.htm.
(7) The environmental Kuznets curve hypothesis does not hold for material flows, Seppälä, Tomi, Hankioja, Teemu and Kaivo-oja, Jari, troisième conférence de l'ESEE, 3-6 May 2000 Vienne, Autriche et nombreux autres articles de cette conférence.
(8) Atelier «Consommation soutenable et effet rebond» au 7e ERCP Lund, Suède, Mai 2001, www.iiiee.lu.se/ercp.

 

Texte paru dans le Silence numéro 280, février 2002.

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