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CR de la conférence de François Schneider sur la décroissance
le 21 décembre 2004 salle du Sénéchal (200 personnes présentes)

François Schneider fait actuellement le tour de l’Occitanie à pied accompagné de son ânesse Jujube, pour colporter les idées de la décroissance. Ce 21 décembre, “ Bleue comme une orange ” a organisé un débat salle du Sénéchal à Toulouse.

1ère partie : le colportage.

F.S. est docteur en écologie, il travaillait dans un laboratoire qui faisait des analyses de cycles de vie de différents produits. Un jour il a découvert qu’il était atteint d’une tumeur osseuse. Sa maladie lui a paru être une représentation du monde dans lequel nous vivons. Il a cessé de travailler dans son labo et a décidé de partir sur les routes colporter les idées de la décroissance, il a donc une quinzaine de panneaux explicatifs de “ Casseurs de Pub ” en coordination avec l’Institut d’Etude économique et Sociale pour la Décroissance Soutenable. (IEESDS) et le journal “ La décroissance ”. Il déploie ces panneaux lors de ses étapes. Ce qui lui permet de susciter des débats. Il voyage loin des autoroutes. (comme des autoroutes de la pensée)
Quelques photos du voyage et quelques récits de rencontres. Son avis est que, lors des entretiens qu’il a avec les personnes qu’il croise, le sentiment très majoritaire est que “ l’on va dans le mur ”. (Il semble donc que le grand public en France subit ou se résigne à la situation actuelle, mais en redoute la facture).
A noter, un jeu intéressant, qu’il a fait avec des enfants d’une école primaire : on joue avec des crêpes au partage de la richesse mondiale. C’est à dire que 80% des crêpes seront mangées par 20% des enfants ! Il paraît que cela ne se passe pas sans grincements de dents.

2ème partie : la conférence sur la décroissance

Exposé en trois temps :
1) le gâteau n’est pas bon au niveau physique.
2) le gâteau n’est pas bon au niveau économique.
3) La décroissance soutenable.

1) le gâteau n’est pas bon au niveau physique : F.S. présente deux diagrammes sur l’évolution lors des dernières trente années de la production énergétique mondiale et des déplacements en Europe. Il fait remarquer que dans un cas comme dans l’autre, la grosse part de ce “ gâteau ” est composé pour le premier du pétrole-nucléaire-charbon, et pour l’autre de route-avion, c’est à dire du plus dangereux-polluant, et que par dessus, comme une toute petite couche de crème recouvrant ce gâteau bourratif, les énergies renouvelables sur le premier diagramme et la marche à pied-vélo-chemin d’eau pour le deuxième. (Il met à jour un phénomène de représentation de la réalité par les diagrammes, qui ressemble bigrement aux stratégies de “ packaging ” des supermarchés : appétissant sur le dessus mais dégueu dans la masse.) Suit une parabole sur la baignoire qui déborde, qui fuit, dans une pièce fermée et où on a laissé le robinet ouvert, où il faut passer la serpillère. (pas très aboutie à mon avis). Images ensuite sur la situation automobile mondiale actuelle : 500 Millions d’autos. Que se passerait-il en 2050 si la planète entière avait autant de voiture que les Français aujourd’hui ? Réponse 3 milliards d’autos ! Que se passerait-il en 2050 si la planète entière avait autant de voiture que l’optimum économique  officiel qui est de 2 voitures pour 3 personnes? Réponse 6 milliards d’autos.( Ceci illustre l’impossibilité physique d’une telle prévision économique). Image des deux planètes qui nous sont nécessaires pour survivre actuellement, il faudra décroître de 5% par an pour revenir en 2050 à une seule planète consommée.

2) le gâteau n’est pas bon au niveau économique : F.S. présente une diapo du logo du développement durable, qui est un triangle équilatéral aux trois sommets duquel se trouvent les trois thèmes “ économie ”, “ social ”, “ environnement ”, avec clairement l’économie en haut qui s’appuie (épuise ?) sur les deux autres. Il présente ensuite une diapo de “ gâteau ” sur l’activité mondiale dans lequel l’économie “ business as usual ” constitue la très grosse part, le social et l’environnemental constituant la “ crème sur le gâteau ” encore une fois extrêmement superficielle. Il évoque la courbe de Kuznets, qui prétend que dans les économies des pays développées, la pollution croît avec l’augmentation de l’activité dans une première partie du développement, puis qu’il arrive un point à partir duquel l’activité continue à croître alors que la pollution se met à diminuer. Ceci parce qu’on passe alors dans une économie de services. Mais comme derrière un service qui ne pollue pas, il y a un bien qui pollue, le résultat est douteux, souligne F.S. (En fait Kuznets ment comme il respire : en trente ans, la mise à disposition énergétique en France a perdu un cinquième de son efficacité, ce qui signifie que non seulement la pollution ne baisse pas mais bien plutôt qu’elle augmente plus vite que l’activité économique. Et si la soi-disant “ intensité énergétique des emplois ” s’accroît selon les statistiques officielles, c’est qu’on fabrique de moins en moins de “  biens ” ici, on ne fait que les distribuer depuis les pays émergents, c’est la part belle aux “ services ”.) Vient ensuite la notion d’effet rebond. Définition de l’effet rebond : D’abord, on constate qu’il y a un problème de pollution ou de coût. Une innovation va améliorer l’efficacité écologique ou économique du bien produit. Ce bien innovant étant mis en circulation, le consommateur dégage de l’épargne…….qu’il dépense dans une augmentation de l’usage du bien. D’où hausse de la consommation, créatrice de nouvelle pollution. Et ainsi de suite. F.S. pose donc la question “ Que Faire ? ” en sachant qu’il y a un gros décalage de temps entre la décision et l’effet recherché d’une action. La réponse est :

3) la décroissance soutenable. Décroissance matérielle et économique. Avec quelques pistes d’action/réflexion.
Individuelles d’abord ;
*Que chacun-e se libère de la voiture, la télé, l’avion, le supermarché, le téléphone portable, le micro onde… etc
*Que chacun-e consomme moins d’animal et plus de végétal, bio et de proximité.
*Que le développement privilégié soit le développement humain et pas le développement matériel.
*Que l’on passe de l’effet rebond à l’effet débond, qui ajoute l’amélioration de l’efficacité à la diminution de l’usage. Par exemple, non seulement prendre plutôt le train que la voiture ou le vélo plutôt que le train mais, également, prendre les moyens motorisés en moins grande quantité. Ceci en vue de dépenser moins d’argent. Donc d’en avoir moins besoin, et être moins dépendant de l’économie de croissance.
*Se réapproprier son temps. Mettre en pratique un ajustement permanent de ses revenus à ses besoins, dans une tendance générale de diminution.
*En référence à Jacques Ellul, il faut développer la non-puissance, l’autolimitation.
*Que chacun-e maîtrise son “ vouloir d’achat ”, plutôt que se lancer dans une course à la croissance du “ pouvoir d’achat ”. Que chacun-e réduise le montant monétaire dédié à la consommation. Ainsi le triangle du développement durable, équilatéral selon l’ONU, s’écraplatit et devient presque plat. L’économie ne domine plus le social et l’environnemental pour les épuiser, mais se trouve au même niveau.
*Que chacun-e développe sa liberté, son imaginaire en transgressant les trajectoires techniques.
Collectives ensuite :
*Que l’innovation ne soit pas une innovation ayant pour but d’augmenter la consommation mais au contraire que l’innovation soit un moyen de diminuer la consommation. C’est  “  l’innovation frugale ”
*Que se développe partout une pratique des débats permettant une démocratie directe, efficace sur ces décisions.
*Que l’espace soit “ ajusté ”. L’aménagement de la ville et la construction de logements sont dans une courbe de croissance très prédatrice d’espace.
*Que l’innovation se fasse à l’intérieur de limites démocratiquement préétablies et non pas pour s’exonérer de ces limites. Une innovation frugale est une innovation contrainte.
*Que les cultures porteuses d’effet débond, comme le vélo, l’écoconstruction, l’agriculture bio, soient privilégiées au détriment des cultures porteuses d’effet rebond.

En conclusion, pourquoi cette conférence ?
Pour créer un réseau des groupes porteurs de l’idée de la décroissance.
Pour diffuser une meilleure conceptualisation de la décroissance.
Pour favoriser des politiques locales décroissantes.

3ème partie : le débat

- Le 1er intervenant est sidérant : il demande qu’on lui explique pourquoi si on a 6 milliards d’ânes sur terre pour se déplacer, c’est mieux que si on a 6 milliards de voitures ! Il demande aussi qu’on lui explique le lien entre l’économie des pays en développement et notre économie, il ne voit pas quel est le lien entre pollution et économie et bien d’autres choses encore laissant entrevoir une erreur totale d'orientation quand il est venu à cette conférence. F.S. après lui avoir tenté de lui faire préciser un peu sa nébuleuse confuse de remarques, renonce à répondre et c’est une des voisines de cette première personne qui va tenter de lui répondre. Sans grand résultat apparemment.
- Une personne rappelle que les fonctionnaires sont mis en décroissance par leur ministre depuis 2000, et que la CAMIF ne s’en porte pas bien, surtout qu’il y a eu les grèves de 2003.
- La décroissance est une question métaphysique. Les présupposés idéologiques ne sont pas posés. Pourquoi la décroissance ? Surtout qu’à y bien regarder, la situation très technologique dans la salle de conférence à cet instant est emblématique de la situation dehors : bordel idéologique et collaboration avec le système prétendument abhorré.
- Il faut organiser la décroissance sinon on va se la prendre dans la gueule. La décroissance, c’est de la physique et pas de la métaphysique. L’économie a besoin de l’énergie pour assurer la croissance depuis l’invention des intérêts bancaires.
- Un adepte du PIB (Pouvoir d’Imagination et de Bonheur) rappelle qu’un jeu de carte à 2 € rend 4 personnes heureuses pendant des années alors que la plaiestéchonne, coûte beaucoup plus cher pour s’amuser seul-e et se crever les yeux.
- On envoie 2 fois plus de CO2 dans l’atmosphère que le supportable.
- Osons imaginer. La planète est polluée, l’homme malade, devant nous un mur économique et un mur écologique. Il faut écouter sans penser, sans juger. Les chercheurs pensent trop.
- Le problème c’est d’abord un problème culturel. Les problèmes techniques sont secondaires. Pour l’énergie, on peut trouver des solutions, on peut par exemple remplacer le pétrole par le bois. Mais ce sont les cultures, les façons de voir et de comprendre qu’il faut changer.
- Comment convaincre les Français-e-s de réduire leur vouloir d’achat ? Un programme qui propose de réduire de 5% par an la consommation et qui donc amène le niveau de consommation en 2050 à un dixième de ce qu’il est aujourd’hui, ne séduira pas grand monde.
- Faut-il s’engager dans les partis politiques, et si oui dans lequel pour trouver exprimées les idées de la décroissance ?
- S’engager dans un parti politique oui mais en nombre suffisant pour pouvoir influer sur la ligne politique du parti.
- S’engager dans les partis actuels semble perdu d’avance.
- C’est par les groupes et les réseaux que se fabriquent, se maintiennent, s’ajustent les alternatives.
- La décroissance, c’est bien beau mais et les pauvres qui n’ont déjà pas assez ?
- Et les emplois, pensons aux chômeurs ?
- Il faut arrêter le gaspillage, ne plus acheter de rasoirs jetables , revenir à nos bonnes vieilles lames de rasoir.
- Au Québec, ils ont un indicateur qui est le PID, le Produit Intérieur Doux.
- C’est bien beau tout ça mais comment on fait pour passer à l’action ?
Une feuille est passée où celles et ceux qui veulent commencer à constituer un début de réseau pour la décroissance se sont inscrits. C’est “ Bleue comme une orange ” qui va s’occuper de rassembler les gens bientôt.
Il est quelques minutes avant minuit, la réunion se termine.

Commentaires du rédacteur :
L’exposé était assez touffus et peut-être avec un peu de confusion dans les commentaires apportés par F.S.. A un moment d’ailleurs sur une question de la séparation entre économie de services et économie de biens matériels, la réponse de F.S. a été au moins très floue. Mais cette non-maîtrise du discours produit une liberté de parole dans la salle lors du débat tout à fait intéressante. En somme cette posture de la pédagogie du brouillon semble avoir permis à chacun-e de s’exprimer facilement, beaucoup plus en tous cas que si le discours avait été en fonte émaillée prêt à l’emploi. Evidemment cela n’augure rien de ce qui se passe dans les consciences après la sortie de la salle.
Cette conférence m’a semblé intéressante parce que d’une part elle démontre avec force le lien entre économie et écologie, et nous incite donc à prendre en considération ces deux domaines dans nos analyses et nos actions, et d’autre part, F.S. est un excellent colporteur du retour de la pensée des gens qu’il a rencontrés, sur la question de la décroissance. Et de ce point de vue, les nouvelles sont plutôt encourageantes.

Rédaction : Alain Marcom le 24 décembre 2004.

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