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Traîner YAB devant un tribunal écologique international

Texte extrait de La Décroissance n°61, juillet 2009 (en kiosque le 30 septembre), reproduit avec leur aimable autorisation.

Bien sûr, nous pourrions nous contenter d’éclater de rire quand on nous présente l’ex-photographe officiel, pendant dix ans, du Paris-Dakar comme un écologiste sérieux...

... Nous pourrions nous limiter à en plaisanter à travers notre bande dessinée « Nicolas Bertrand ». Nous aurions bien tort : l’affaire est sé­rieuse. Loin d’être une simple farce, l’entreprise que Yann Arthus-Bertrand (YAB) a développée commence à concurrencer sérieusement non seulement la Fondation Nicolas Hulot (Bouygues Telecom, E. Leclerc, L’Oréal, TF1, EDF…) mais aussi Al Gore dans le registre, archi-occupé, des pires supercheries écologistes de ces temps de crise environnementale globale et de dépolitisation de l’écologie.

« Ce n’est pas un intellectuel. Il n’a pas de grille de lecture idéologique sinon celle de son milieu, de droite et libéral », précise une des collaboratrices du photographe (1). YAB est par contre un affairiste redoutable. À l’image de François Lemarchand, le pédégé de Nature & Découvertes, il aura été un expert dans l’art de récupérer l’écologie pour la transformer en opération commerciale juteuse.

Nous aurions tout autant tort de nous réjouir d’entendre YAB dire : « Seule la décroissance sauvera la planète » (Le Monde, 3-6-2009). Lui et ses amis s’apprêtent à vider la décroissance du sens que nous lui donnons dans ces colonnes. Eux exploitent ce terme pour faire de la pauvreté une variable d’ajustement de la crise écologique. Ainsi, consultant pour le constructeur de pavillons Phénix, fléau environnemental par excellence, YAB l’affirme : « Notre plus grand défi con­siste à concilier la croissance et les ressources limitées de la planète. » Revenons, forcément de manière incomplète, sur une escroquerie à l’échelle planétaire sous prétexte de bons sentiments écolos.

Indulgences modernes
À travers son association Good Planet, YAB vend des « compensations carbone », véritables indulgences des temps modernes : une manipulation visant à laisser croire que l’on peut (é)puiser et polluer d’un côté et se racheter de l’autre en plantant des arbres. « N’est pas acceptable le marchandage mercantile qui consiste à donner bonne conscience aux “producteurs de CO2” en leur permettant de compenser les rejets excessifs de ce gaz par le financement volontaire d’un projet d’énergie renouvelable, une boîte de Pandore offerte à tous les voyous capitalistes et autres du globe », écrit Gabriel Wackermann, professeur émérite à la Sorbonne, consultant auprès de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe, de l’ONU, du PNUD, de la CNUCED ainsi qu’auprès d’organismes semi-publics ou privés (2). Cette manipulation rencontre évidemment l’assentiment des plus riches, qui y voient un moyen de perpétuer leur mode de vie avec la caution que leur offre cette obole. Néanmoins, ce n’est qu’en partie sur cette escroquerie que YAB a bâti sa fortune.

« Je suis devenu riche (…). On a sûrement fait trop de produits dérivés (3) », admet YAB en parlant des puzzles, agendas, cartes postales et autres supports issus du livre de photographies La Terre vue du ciel vendu à 3,5 millions d’exemplaires. Sans compter ses livres « petits frères », YAB a touché 6 millions d’euros de droits d’auteur pour ce seul ouvrage. Une édition de luxe de La Grande Terre sera mise en vente à 1 500 euros l’exemplaire. Ses livres se doublent de la location d’expos géantes. La ville de New York vient de louer son exposition 1 million de dollars.

Ilustration YAB

Riche et heureux
« Comment gérez-vous le fait de devoir vous associer avec un grand groupe comme Pinault-Printemps-Redoute, qui appartient à l’industrie du luxe, la­quelle n’est pas forcément toujours très cohérente en matière de développement durable ? », interroge le site Planete-terra.fr. « Je le gère très bien, répond YAB. Quand quelqu’un est assez généreux pour vous donner 10 millions d’euros pour faire un film, je le res­pecte. » Voilà qui donne le niveau de conscience politique du photographe, conscience à laquelle il ne cesse d’appeler ses contemporains. « Il est sans scrupule sur le choix de ses sponsors », confirme, s’il en était besoin, le dé­puté vert Yves Cochet (4) qui vient pourtant de copiner trois semaines avec lui aux États-Unis.

Le mensuel CQFD, un des rares journaux à exercer un esprit critique sur le personnage, imagine la question qu’ils auraient posée à l’hélicologiste à propos du financement par la banque BNP de son exposition « Six milliards d’Autres » : « Pourquoi ne pas avoir demandé aux habitants de l’île de Sakhalin ce qu’ils pensent du projet pétrolier et gazier de Sakhalin, en Russie, financé par BNP Paribas, qui a été condamné par un tribunal russe notamment pour violation des lois environnementales nationales ? » (CQFD, 2-2009). Car sur le plan « décolonisation de l’imaginaire », YAB a encore du travail. Pour preuve, il faut voir la vidéo hallucinante où le photographe a fait enfiler des shorts de mode à des papous afin de réaliser une publi­cité pour le magazine Lui. « On les a payés, donc on les a aidés », dit-il en conclusion.

Mais YAB va toujours plus loin : il ne voit pas le problème que pose la célébration de la civilisation de l’automobile et du productivisme que constitue une course de formule 1. « J’ai par exemple refusé de signer une pétition contre la formule 1. Pourquoi s’en prendre aux pilotes de formule 1 plus qu’à d’autres ? Je crois au con­traire que pour surmonter la crise écologique, nous devons tous travailler les uns avec les autres. Sans amour et sans solidarité, nous ne parviendrons à rien ! », déclare-t-il dans L’Express (10-11-2008). La formule 1 écolo-compatible ? Sa conception de l’écologie façon pilote d’hélicoptère est croquignolesque : « Posséder un 4 x 4, pourquoi pas. À condition de sacrifier de temps en temps au covoiturage », affirme-t-il à Direct Soir, le gratuit de Vincent Bolloré (13-9-2008). Mais le 4 x 4 demeure écolo comparé à d’autres modes de déplacement : « Mon mode de déplacement le plus courant, aujourd’hui, hormis la voiture et la moto, que j’utilise pour venir dans Paris, est, comme on l’imagine, l’hélicoptère » (Chemin faisant, 2001). Selon Le Canard enchaîné, ce « patron particulièrement colérique et brutal (…) ne se déplace quasiment qu’en hélico, y compris de sa très décente résidence des environs de Rambouillet à ses bureaux voisins de l’hippodrome de Longchamp » (17-6-2009). YAB se fait aussi épingler par les opposants au nucléaire, qui n’ont pas manqué l’occasion du film pour rappeler dans un communiqué de presse que « Yann Arthus-Bertrand se pose comme l’un des premiers écologistes de la planète. Or, ce statut est plus que contestable puisque le photographe continue imperturbablement de soutenir l’industrie nucléaire, une des industries les plus polluantes et dangereuses, qui met gravement en danger l’avenir de la planète. Cette position ne peut que renforcer les soupçons de collusion avec l’un de ses principaux sponsors, l’électricien français EDF (5). »

Parrain de la Bourse
La barque semble pleine mais cela est loin de suffire à YAB. Le réalisateur parraine un indice boursier, le « Low Carbon 100 », « qui regroupe les cent sociétés européennes les plus performantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce LC 100 s’avère jusqu’à présent plus performant que le CAC 40 (6). » Dans cet indice figurent des entreprises championnes de la protection de l’environnement : Sanofi-Aventis, Alstom, Siemens, ArcelorMittal, GDF-Suez, British Energy et EDF, Peugeot, Renault, Fiat, BMW, Air France-KLM, BNP Paribas, Bank of Ireland, Commerzbank, Royal Dutch Shell, Technip, British Petroleum, Anglo American…

En phase avec les puissances médiatiques, économiques et politiques, Yann Arthus-Bertrand est décoré comme un oligarque de l’ex-­gérontocratie soviétique. Il porte le costume vert d’académicien des Beaux-Arts. Il est omniprésent dans les médias, où il déverse des flots de discours compassionnels et larmoyants. Des puissances économiques et politiques considérables agissent en sous-main pour que cet « écologiste » présente son option « capitalo-compatible ». La sortie de son film Home a porté cette défer­lante à son paroxysme. Salma Hayek, la belle-fille du pédégé François Pinault, le prince Charles, l’ex-vice-président Al Gore, le cinéaste et producteur de la série Taxi Luc Besson ou encore Nicolas Sarkozy ont contribué au lancement de ce film. Côté entreprises on compte une partie de l’industrie du luxe (Gucci, Boucheron…) mais aussi Air France, la banque Lombard Odier, Suez Environnement, A Plus Finance, Apple, La Banque postale, GDF-Suez, Maif, la Camif, France 2, Canon, Valvert, Alti, Groupe Samse, et, sous diverses formes, l’État français…

« Quand je vais à Gaza, je n’y comprends plus rien. L’homme a besoin d’amour, besoin d’aimer l’autre »
Yann Arthus-Bertrand, Paris Match, 28-5-2009.

La classe des journalistes est bien en peine d’exercer sa fonction de quatrième pouvoir au regard des puissances qui agitent la marionnette de l’hélicologiste. Les héros du journalisme feront donc preuve d’une capacité d’aveuglement à la hauteur de leur capacité de lynchage dans des cas sans risques pour leur poste. C’est vers l’étranger qu’il faut se tourner pour trouver un travail journalistique sur l’entreprise de YAB, « financé à hauteur de 15 millions de francs [suisses] par l’industriel du luxe François-Henri Pinault (…). Le marketing des produits dérivés en série limitée est signé Sergio Rossi, Yves Saint Laurent, Gucci, Boucheron ou Bottega Veneta. (…) Vue d’en haut, même la pollution est belle. Cela peut brouiller le mes­sage. Tout comme le parcours de Yann Arthus-Bertrand, ancien photographe officiel du Paris-Dakar. Et qui n’hésite parfois pas à proposer ses services, via son agence Altitude Anyway, à de grandes sociétés forcément polluantes. Comme par exemple des photos illustrant le rapport d’activité 2005 de Total. L’homme, qui gère très bien ses paradoxes, a fait aussi de l’écologie aérienne son fonds de commerce. Le livre La Terre vue du ciel s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires. L’expo éponyme tourne toujours : Montpellier vient de payer 54 000 euros pour l’offrir gratuitement à ses contribuables cet été », écrit par exemple Claude Ansermoz du journal suisse 24 Heures (30-5-2009).

« Tous ensemble »
Alors que les militants écologistes s’opposent depuis toujours à l’économie des multinationales, YAB, à l’image de son confrère Nicolas Hulot ou d’associations comme le WWF, voudrait nous persuader que la bonne stratégie consiste à s’allier avec elles : « Je suis prêt à travailler avec toutes les entreprises, même Total et Coca-cola, dès lors qu’elles sont sincères. En matière d’écologie, les choses avanceront ensemble, pas les uns contre les autres (7). » La junte militaire qui collabore avec Total en Birmanie doit apprécier à sa juste mesure ce genre de déclarations. Avec YAB, le renoncement à la démocratie pour cause d’union sacrée derrière l’écologie n’est d’ailleurs jamais bien loin : « Aujourd’hui, devant les problèmes économiques et écologiques qui vont se poser, eh bien, c’est un peu comme devant une guerre, il faut qu’on soit tous ensemble », déclare-t-il au forum de Davos en 2007.

Mais les écologistes démocrates sont aujourd’hui totalement écrasés par l’écologie de marché, de Daniel Cohn-Bendit à Serge Orru en passant par Jean-Louis Borloo. « On a marginalisé en vérité les mouvements extrémistes verts qui ont de moins en moins d’importance », avoue l’ami de YAB, le président Nicolas Sarkozy (8). Des citoyens agissent afin que George W. Bush et Tony Blair soient un jour inculpés pour leur guerre illégale en Irak. De la même façon, il sera nécessaire que des militants arrivent à traîner un jour Yann Arthus-Bertrand devant un tribunal international pour l’environnement.

La rédaction de La Décroissance

1 - Terra Eco, 6-2009. -
2 - Le Développement durable, Ellipses, 2008. -
3 - Le Monde, 3-6-2009.
4 - Terra Eco, 6-2009. -
5 - Réseau “Sortir du nucléaire”, 4-6-2009. Ses toutes récentes prises de positions antinucléaires nous laissent sceptiques...
6 - Le Figaro, 30-10-2008.
7 - 20 Minutes, 11-10-2007. -
8 - Site de l’Élysée, 4-11-2008.

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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