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Stop la croissance ! - Technikart - 12/02 - Dossier de Joseph Viellard

STOP LA CROISSANCE ! de Joseph Viellard

LES 6 COMMANDEMENTS DE LA DÉCROISSANCE - de Joseph Viellard

EST-CE QUE J'AI UNE TETE DE DEVELOPPEMENT DURABLE ? d'Emmanuel Poncet


STOP LA CROISSANCE !

C'est devenu la question de ce début de siècle: mais où est donc passoe la croissance ? Plus capricieuse qu'une diva, c'est elle qui va décider de notre bonheur ou de notre malheur. Au fait, c'est quoi la croissance ? Retour sur un concept insensé et sur le meilleur moyen de s'en débarrasser.

ECONOMIE PAR JOSEPH VEILLARD

D'abord: le Salon de l'Auto bat des records de fréquentation; les fans du portable changent trois fois par an de téléphone: même ceux qui ne sont pas accros au progrès envoient chaque année leur ordinateur à la poubelle. Ensuite: la voiture au garage faute de carburant; le frigo transformé en armoire pour économiser l'énergie; une douche par semaine en raison de la pénurie d'eau; la consommation de viande bannie pour cause de céréales réservées aux êtres humains. Respirez: avant de connaître ce monde, il vous reste un sursis. une grosse trentaine d'années à en croire les rapports les plus impartiaux (voir encadrés page 61). Le principal accusé de ce scénario apocalyptique ? La sacro-sainte croissance. Le risque si rien ne bouge ? L'apparition d'un écofascisme autoritaire, seule solution face à l'épuisement des ressources.

 

TOUJOURS PLUS

Alors que MM. Raffarin et Mer brûlent des cierges tous les matins pour le retour d'une croissance forte&emdash;dans un élan d'espoir qui rappelle les vacanciers à l'affût d'une météo clémente pour leurs vacances&emdash;, certains réfléchissent à une économie fondée sur la décroissance. Non pas des babas réfugiés dans le Larzac se nourrissant de fromage de chèvre et parfumant leur intérieur au fumet de chaussettes mais des économistes comme Serge Latouche, professeur à Paris Xl: " Depuis Adam Smith (I'un des fondateurs du libéralisme à la fin du XVllle siècle, NDLR), onvit dans la croyance que l'homme est l'homo economicus, un animal qui maximise ses plaisirs et minimise ses peines, explique-til. S'appuyant sur l'aspect individualiste de la philosophie des Lumières, il a établi le dogme métaphysique de l'harmonie des intérêts. En recherchant mon intérêt le plus égoiste, je contribue ainsi au bonheur de l'humanité. " Accompagnez cela de la conviction qu'avoir plus, c'est être mieux, et vous avez la justification d'un désir d'accumulation infini, soit l'origine du dogme de la croissance. Confirmation par des chiffres piochés au hasard: un ménage français sur deux est endetté, il y aurait 19 millions de personnes en surpoids dans notre beau pays, les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 2% entre 1991 et 1997...

 

AZF ET LA CROISSANCE

Si les économistes libéraux voient la croissance comme la clé de voûte de notre société, on déniche, au sein même de la Mecque du libéralisme français, un personnage qui nous révèle l'irrationalité du système: " Ce quel'on appellela croissance, c'estl'augmentation du PIB, un concept purement arbitraire, nous déclare Pascal Salin, économiste à ParisDauphine. Pour obtenir ce PIB, on additionne un grand nombre d'éléments sans rapport les uns avec les autres. On obtient donc quelque chose de dénué de sens car une nation en tant que telle n'a pas de revenus. " Ainsi, ce qui nous est présenté comme la pierre angulaire de l'économie repose sur l'augmentation de quelque chose... d'insensé. Pire, les facteurs pris en compte naissent parfois d'une catastrophe qui crée une activité alimentant la croissance: " Plus il y a d'accidents de la route, plus il y a de croissance, explique le Vert Yves CoUhet, ancien ministre de l'Environnement Le PIB mesure de plus en plus le malheur des gens: I'explosion de l'usine AZF par exemple. estposinve pour la croissance. Ie souhaite bien sûr éviter ce genre de croissance, tout comme je souhaite que décroisse la part de croissance du PIB qui se fait au détriment des ressources naturelles non-renouvelables. "

Le bourrage de crâne infligé à longueur d'années - c'est par la consommation que l'on va se sauver - n'aborde ni ces éléments nuisibles, ni certains dhiffres révélateurs de la consommation des habitants de la planète. Sur ce sujet, le Casseur de pub Vincent Cheynet a une vision encore plus trandhée que celle du député vert: " Nous sommes 20% à consommer 80% des ressources de la planète, dédare 1'expublicitaire repenti. Le monde fonctionne comme si vous aviez un gâteau pour dix personnes et que deux des invités prenaient huitparts. Pourtant, cela neleursuffitpas etilsse battentpourprendre une neuvième. Cette minorité méprise le reste du monde et met en péril les équilibres écologiques de la planète Pour cette classe supérieure, je ne vois pas d'autre solution que de réduire la consommation et d'entrer dans la décroissance. " Tout en continuant à vivre dans une grande ville (Lyon), Cheynet s'applique le principe à lui-même. Plus de télé, plus de voiture et, à la place d'un frigo, grand consommateur d'énergie, une pièce froide. " Il faut bien comprendre que la Terre est un univers fini et qu'elle ne dispose pas de ressources illimitées, continue-til. Comme les économistes évacuent le paramètre écologique et nient le rôle central des ressources naturelles, nous devons aujourd'hui sortir de la religion de l'économie."

 

IL TE RESTE DU CHARBON ?

Nidholas Georgescu-Roegen, Iui, ne s'est pas défroqué mais a pris en compte un élément négligé par les zélateurs de la croissance: la nature. Attention, ça se complique mais accroUhez-vous, c'est intéressant: dans son recueil la Décroissance (éditions Sang de la terre), cet économiste disparu dans les années 90 explique que le processus économique est réduit à une mécanique uniquement réqulée par l'offre et la demande. Pour élaborer sa théorie, I'économiste s'est servi des lois de la thermodynamique découvertes par l'ingénieur Sadi Carnot en 1824. Cette science établit tout d'abord que, dans l'univers, rien ne se perd, rien ne se crée mais que tout se transforme. C'est là qu'intervient l'entropie, seconde loi de la thermodynamique: I'énergie inutilisable d'un système clos croît sans cesse du fait même de la consommation de cette énergie initialement utilisable par le système. Et la Terre, disposant certes du flux de l'énergie solaire, n'est pas loin d'être un système clos. Nous utilisons en effet essentiellement de l'énergie issue de stodcs non-infinis comme le pétrole, le dharbon ou le gaz naturel. L'entropie étant par essence croissante, notre devoir est de limiter cette croissance en réduisant notre consommation de ressources naturelles. Comme la machine économique absorbe en quantité des ressources de valeur et rejette des dédhets inutilisables (par exemple les fumées du pot d'édhappement), Georgescu-Roegen estime que le seul moyen de freiner l'entropie galopante est de réduire le rythme de cette machine par la décroissance. Et vite: depuis l'avènement de la civilisation industrielle, la gestion des stocks énergétiques de la terre ressemble fort à une attitude kamikaze. Yves Codhet: " Tous les matériaux fossiles (pétrole, charbon, gaz etc.) vont être épuisés en deux cents ans alors que leur élaboration a pris des dizaines de milliers d'années. " Ajoutez à cela une terre devenue improductive dans de nombreuses régions du globe en raison d'une utilisation abusive d'intrants dhimiques ou de pesticides et servez chaud: le bilan thermodynamique de notre planète est très préoccupant.

 

SOCRIÉTÉ HEUREUSE

Question: pour moi, pigiste de base, la décroissance n'est-elle pas synonyme de précarisation croissante (moins de business = moins de pages de pub = moins de budget piges) ? Serge Latouche, qui n'hésite pas à prendre l'avion pour donner ses conférences en Italie, tente de me rassurer: " Quand on appelle à la décroissance, il ne s'agit pas de la récession qui entraîne le chômage ou la baisse des budgets fondamentaux comme l'environnement, la culture ou la santé. Il n'y a rien de pire qu'une société de croissance en croissanõ négative. Ce que l'on envisage, c'est de repenser notre fonctionnement pourpouvoir réduire notre consommation de biens matériels et notre emprise sur l'environnement (voir page 62). Il faut pour cela décoloniser notrre imaginaire phagocyté par la société de consommation et mettre en avant les biens relationnels. " Illustration par Vincent Cheynet: " Je prélère avoir un nouvel ami qu'une nouvehe voiture ", soit sortir de la logique du PIB qui ne prend en compte que la valeur marchande. Le politicien amateur Pierre Rabhi qui a échoué à se présenter à la dernière présidenhelle faute de signatures suffisantes, lui, dépeint ainsi cette nouvelle société: «" Elle serait organisée pour produire et consommer localement L'indusUrie serait limitée à ce qu'elle est seule capable de faire, libérant ainsi les autres activités. Le but serait de passer de notre prospérité malheureuse à une sobriété heureuse."

 

LE «PRINCIPE DE PRÉCAUTION»

Devenir sobre, ne plus passer à côté des dhoses simples: un monde beau comme une pub Herta, pas facile à mettre en pratique. L'universitaire François Brune, collaborateur du Monde diplomatique et de Casseurs de pub, estime que nous sommes inscrits " dans un ordre socio-économique dont la loi est d'absorber une production sans cesse croissante et dont la finalité n'est pas seulemen t de consommer mais de surconsommer. " Notre essence sociale seraitelle alors d'être des pions d'un système exigeant de chacun qu'il remplisse son devoir d'acteur économique ? L'économiste Pascal Salin n'est pas loin de le penser, refusant d'envisager une réduction volontaire de nos emplettes: " L'expérience prouve que la plupart des gens cherchent à améliorer leur pouvoir d'achat. Ie ne vois pas d'auDres moyens de réduire le train de vie que des conhraintes d'ordre publique. " Et voit dans la prévention de l'environnement une entrave inadmissible à nos libertés. " Les Verts cherchent à imposer un totalitarisme et le principe de précaution en est le symbole. C'est une absurdité car cette exigence de sécurité a un coût infini le ne dis pas qu'il n'y a pas de risque mais il ne faut pas présenter ces risques comme des certitudes. De toute façon, toute activité humaine est risquée et l'individu est le seul apte à faire des choix. Les politiques le récupèrent par démagogie mais le principe de précaution, moi, je le mets à la poubelle. La véritable menace de nohre époque, ce sont les Verts qui veulent imposer des contraintes individuelles au nom de leurs illusions. "

 

«PAS POUR L'ASCÉTISME»

Mais Pascal Salin ne vit-il pas dans l'illusion quand il mise sur la responsabilité de l'homo-economicus ? Aujourd'hui, plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et un quart de la population américaine est obèse. Le totalitarisme est-il d'ailleurs dhez les écologistes ou dans les fondements d'une société qui nous conditionne pour consommer sans tenir compte des générations futures ? La solution est peut-être à chercher ailleurs, loin d'un " toujours plus " aveugle ou d'un écofascisme despotique. Ainsi, " Une politique de décroissance gouvernementale ne pourrait qu'être autoritaire et difficilement soutenable, estime Vincent Cheynet C'est pour ça qu'étant avant tout démocrate mais aussi libéral au sens philosophique du terme, je souhaite une décroissance qui passe par la simplicité volontaire et la responsabilisation de chacun. Mais je ne suis pas pour autant pour l'ascétisme et c'est à chacun d'essayer de concilier ses intérêts individuels avec l'intérêt collechf. C'est pour cela que je me déplace à vélo ou que je refuse de prendre l'avion. "

Pendant que certains se donnent bonne conscience avec la tarte à la crème du « développement durable » (voir page 64), " I'imminent désastre écologique " prédit par le philosophe Michel Bounan pourrait bien ressembler à ça: à cause d'un pesticide destiné à produire toujours plus, des abeilles devenues folles menacent l'équilibre écologique de certaines régions françaises (voir page 66). Mais, à force de produire toujours plus de biens, pourquoi s'étonner que l'on produise aussi plus de mal ?

J.V.


LA FRANCE EN 2002
97% des cours d'eau contiennent des pesticides. 33 millions de véhicules ont déversé dans l'air 126 millions de tonnes de polluants. On s'en fout: tout le monde se goinfre (près de 10% d'obèses) et gobe (5O millions de boites d'antidépresseurs vendues par an). (Sources: Francoscopie).

 

LE MONDE EN 2032
Un quart des espèces de memmifères et mille espèces d'oiseaux ont disparu. 70% des terres émergées sont détruites ou perturbéts par des infrastructures humaines. Plus de vacances aux Maldives car ces iles ont disparu. (Sources: Rapport 2002 du programme des Nations-Unies pour l'environnement).

 

L'ÉTAT DES RESSOURCES
Selon le géologue Colin J. Campbell, le pic de production des hydrocarbures, qui correspond au moment où la moitié des stocks sont épuisés, sera atteint en 2010. Après cette date, I'offre ne pourra plus satisfaire la demande, les prix s'envoleront et une trentaine d'années suffiront à épuiser nos ressources.


LES 6 COMMANDEMENTS DE LA DÉCROISSANCE

Pour changer de logique économique, l'économiste Serge Latouche appelle à entrer dans "un cercle vertueux de six ères interdépendantes". Revue de détail pour donner au monde l'énergie d'être meilleur, comme disait un vieux copain d'EDF.

I Þ TES DÉSIRS TU RÉÉVALUERAS
Ça commence fort: selon Latouche, l'être humain doit changer ses valeurs et abandonner son statut d'homo-economicus. Pour préférer le sourire d'un enfant à une Porsche flambant neuve ? Pas gagné. On peut en revanche renoncer à notre désir d'accumulation infinie qui nous pousse à acquérir de manière compulsive des gadgets àussi inutiles que dérisoires. Ainsi, on arrivera peut-être à comprendre que les nouveaux amis, ça vaut bien une nouvelle voiture.

II Þ TA PRODUCTION TU RESTRUCTURERAS
Aujourd'hui, les combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) couvrent plus de 85% des besoins énergétiques mondiaux. Problème: ils sont appelés à disparaître. Le nucléaire étant une alternative à hauts risques (parc en mauvais état, durée de vie des déchets s'étalant de trente ans à dix-sept millions d'années), la production industrielle doit étre revue à la baisse, laissant une place de choix à l'artisanat et à l'agriculture biologique. Les énergies renouvelables (solaire, éolienne) et les biens relationnels restent en revanche à développer.

III Þ TES RICHESSES TU REDISTRIBUERAS
L'Américain moyen consomme chaque année 4 tonnes de pétrole, 2,3 tonnes de gaz naturel, 2,5 tonnes de charbon et 5 grammes d'uranium rejetant ainsi dans l'atmosphère plus de cinq tonnes de gaz carbonique. Pas mal pour moins 5% de la population mondiale qui absorbent ainsi 25% de la production globale d'énergie. Envisageant une répartition équitable des ressources compatible avec la survie de la planète, certains spécialistes affirment que les Etats-Unis devront émettre moins de 10% du C02 qu'ils évacuent actuellement. Si les Français se contenteront de 25% de leurs rejets actuels, pour les Népalais, ça sera la fête: ils pourront consommer vingt fois plus de ressources fossiles qu'aujourd'hui.

IV Þ TON IMPACT SUR L'ENVIRONNEMENT TU RÉDUIRAS
Les gaz à effet de serre, principales sources de poHution, proviennent de trois foyers aux émissions équivalentes: I'industrie, le chauffage et le transport. L'effet de serre étant directement responsable du dérèglement climatique, si nous ne voulons pas vivTe dans un monde où les tornades seraient notre lot quotidien, il convient de réduire ces trois types d'activité. Soit travailler moins et s'amuser plus. Mais plutôt que de griller du Kérosène pour aller se bronzer sur les plages du Pacifique, on préférera s'en remettre aux joies du vélo à l'fle de Ré,

V Þ TES OBJETS TU RÉUTILISERAS
De l'appareil photo jetable au téléphone portable dont la durée de vie n'excède pas deux ans, nous utilisons un nombre incalculable d'objets dont la réparation est inenvisageable. Pour sortir de ce monde aux allures de poubelle, Nicholas Georgescu-Roegen, cet autre aficionado de la décroissance, estime qu'il faut avant tout se débarrasser de la mode, " cette maladie de l'esprit qui nous conduit à jeter une veste ou bien un meuble alors qu'ils sont en mesure de rendre les services que l'on est en droit d'en attendre. " On imagine avec délectation la crise d'hystérie des fashionistas que provoquera l'interdiction des défilés par le ministère de l'Environnement.

VI Þ TES DÉCHETS TU RECYCLERAS
Que faire de ces déchets qui s'accumulent dans nos décharges ? Du business, répondent en chõur les pros du retraitement qui nous promettent un développement durable dans un monde propre, si tant est que l'on trouve les moyens pour payer. Attention cependant à l'effet rebond qui conduit à ne plus se limiter lorsque les produits deviennent peu chers, bons pour la santé ou pour l'environnement, ce qui aggrave le bilan écologique. Car entropie oblige (voir page 60), il n'y a pas de recyclage parfait.

JOSEPH VEILLARD


EST-CE QUE J'AI UNE TETE DE DEVELOPPEMENT DURABLE ?

Quand on ne peut plus changer les choses, on change les mots, disait quelqu'un de sûrement très fin. Le "développement durable" en est l'exemple parfait: fumeux concept écologico-capitaliste et bonne conscience de ceux qui l'ont vraiment mauvaise.

 

II y a d'abord eu les « ressources humaines ». C'était au cõur des années 80. Une euphémisante manière de rebaptiser la « gestion du personnel ». Cette rhétorique managériale, irriguée par l'esprit de développement personnel de 1968 et les exigences économiques de la crise de 1974, avait trouvé son nouveau jouet: puisqu'on ne peut plus utiliser les méthodes de coercition pour diriger les employés, faisons-les participer à la gestion de l'entreprise. Les ressources humaines, c'est un peu l'inverse des ressources naturelles. Quand il n'y en a pas assez, ça s'appelle le plein emploi. Quand elles sont trop abondantes, ça s'appelle vite un plan social. Cela a globalement bien marché: beaucoup de gens (rebaptisés « collaborateurs ») se sont retrouvés à la porte (" en recherche d'emploi ") mais heureux d'avoir contribué à la survie de la boite (la " pérennité de l'entreprise ") grâce au dégraissage (le " recentrage sur le métier de base "). Mais avec l'épuisement de ce concept et de son contenu (nous) et malgré les timides apparitions du " commerce éthique " et de " I'économie solidaire ", les années 90 se sont un peu retrouvées orphelines, en panne d'os humanisto-rhétorique à ronger.

 

ON SE LÈVE TOUS POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Heureusement, le « développement durable » est apparu. Construit sur le modèle de l'oxymoron - si tu n'as pas fait de khagne à Henri IV, je t'explique: I'association de deux termes contradictoires (« obscure clarté ») pour signifier quelque chose de pas évident au départ et produire un effet littéraire. Et, en effet. Ie « développement durable », c'est un peu comme Dodi et Diana: un mariage sémantique risqué. Or, depuis son émergence, le concept a été récupéré partout. Dernier épisode en date, l'ecowarrior Nicolas Hulot, animateur-producteur d'Usbuaia, conseiller de lacques Chirac sur l'environnement, a volé au secours des socialistes en panne sèche d'idées en participant à un débat au siège du PS, I'Ecologie solidaire et le développement durable.

Dans les cabinets ministériels, les grandes mairies de France et les états-majors politiques, tout le monde s'excite sur ce concept qui permet de concilier théoriquement l'inconciliable: une croissance, une consommation et un niveau de vie soutenus, et la préservation de l'environnement pour les générations futures. Une belle idée a priori dont on ressent parfois l'urgence lorsque l'on achète au Monoprix six rouleaux de papier cul recyclé.

 

«UN CONCEPT DES PLUS NUISIBLES»

Seulement voilà, le développement durable, comme les ressources humaines, appartient à cette tribu encombrée: les concepts critiques du capitalisme immédiatement récupérés par lui. On savait déjà la crédibilité de Nicolas Hulot limitée lorsque ses émissions ont, commencé à étre sponsorisées par Rhône Poulenc. Mais lorsqu'on consulte l'inventaire de citations dressé par le site décroissance.org, on ne peut s'empêcher de penser que le développement durable est ce qui est arrivé de mieux au capitalisme depuis l'invention du chemin de fer en Grande-Bretagne. Ainsi trouve-t-on dans le compte-rendu des travaux des 4e rencontres parlementaires sur 1'énergie du 11 octobre 2001, cette merveilleuse contribution de Michel de Fabiani, président de BP (British Petroleum) France: " Le DÉVELOPPEMENT DURABLE, c'est tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-étre plus de charbon et de nudéaire, et certainementplus d'énergies renou velables. Dans le même temps, il fa u t s'assurer que cela ne se fait pas au détriment de l'environnement " . Idem chez un célèbre constructeur automobile: " Renault, pour être un acteur majeur du DÉVELOPPEMENT DURABLE, anticipe, dans le temps et dans l'espace, l'évolution des modes de vie et des valeurs pour concevoir ses produits et définir ses comportements. "

Le bêtisier est long et magnifique. Récupéré par les principaux leaders économiques, cette théorie écologique entre dans ce nouvel esprit du capitalisme théorisé par Boltanski et Chiappello: la critique comme carburant. Or, comme le résume très bien le philosophe et conseil d'entreprise François de Bernard, auteur de la Pauvreté durable: " Si quelque chose apparaît durable, ce n'est certes pas le développement mais la pauvreté. " Nicholas Georgescu-Roepen, le théoricien de la décroissance, allait méme plus loin: " Il n'y a pas le moindre doute que le développement durable est l'un des concepts les plus nuisibles. " Evidemment, il n'est pas question de trancher ici la question, juste d'avoir de mauvais pressentiments. Quand Nicolas Hulot, I'ULM de l'UMP, parle de développement durable comme Nicole Notat, ex-leader de la CFDT, monte une « agence de notation sociale » des entreprises cotées, des picotements dubitatifs nous parcourent inexplicablement le corps. Bizarre, non ?

EMMANUEL PONCET

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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