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Sortir du développement durable

«Le développement durable, c'est tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire, et certainement plus d'énergies renouvelables. Dans le même temps, il faut s'assurer que cela ne se fait pas au détriment de l'environnement.» déclarait le 11 octobre 2001 monsieur Michel de Fabiani, président de British Petroleum France. Au même moment, un mensuel lyonnais presse poubelle nous offrait une entrevue d'un imposteur local faisant depuis longue date carrière politique sur le dos de l'écologie. Celui-ci affirmait : «Le développement durable, c'est concilier la croissance et la protection de l'environnement.», une déclaration en fait équivalente à celle du président français de BP, l'extrême clarté en moins. Notons toutefois que ces interprétations ne correspondent en rien à la définition d'origine du concept, c'est-à-dire «Le développement durable est celui qui permet de répondre aux besoins des générations actuelles, sans pour autant compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins» . Mais, les propos de cet industriel et de ce politique correspondent bien à la manière dont ce terme est entendu, par l'opinion, dans son sens sémantique.

Ni le développement, ni la croissance ou ni même le libéralisme, ne sont des termes négatifs en soi. Par contre, ils deviennent absurdes réduits à leur seule dimension économique. Dans notre civilisation militaro industrielle occidentale, le prima est accordé à l'économie. Logiquement, développement, croissance, libéralisme seront d'abord compris dans leur dimension économique. Ainsi, parler de développement, entendu comme croissance économique, pour les pays occidentaux, est un non sens. Ceux-ci consomment 80 % des ressources de la planète, et ne représentent que 20 % de la population mondiale. Ce niveau de développement sous-entend le pillage systématique du reste de la Terre et l'asservissement économique de populations entières. Déjà insupportable pour la biosphère, le niveau de développement actuel des pays riches n'est bien sûr pas réalisable pour les 80 autres pour cent des habitants du globe. D'ailleurs, qui pourraient-ils piller pour devenir à leur tour développés ? Et qu'est ce donc que d'être développés ? L'apothéose du développement est-elle le mode vie américain : trois 4 x 4 et une piscine par foyer ? Existe t-il des sous- développés, des individus arriérés ne partageant pas encore cet idéal d'existence ? Ou bien le terme sous- développement ne serait-il pas une nouvelle réminiscence raciste de l'Occident considérant une nouvelle fois comme inférieure toute civilisation différente ? Toutes les entreprises de développement, notamment humanitaires, ont largement été mises en place dans ce sens. L'Occident cherche d'abord, suivant sa logique, à se donner bonne conscience, sans remettre en cause son mode de fonctionnement dévastateur et criminogène. Ainsi, la France, troisième exportateur d'armes au monde (1), est avant tout reconnue pour ses «French's doctor». Après avoir alimenté nombres de conflits, nous envoyons les sparadraps. Le budget des ONG est bien sûr infinitésimal comparé à ceux des marchands de canons. L'aide humanitaire étant médiatisé (2), contrairement aux ventes d'armes, la population est ainsi persuadée de soutenir le monde à bout de bras. Mais cela permet de ne pas remettre en cause la sacro-sainte croissance et de repousser l'essentiel, c'est-à-dire la volonté de d'abord ne pas nuire.

Si nous rapportions la Terre à un gâteau, et que nous le divisions alors en de dix parts égales en plaçant autour dix personnes, deux des convives s'accapareraient huit parts, et loucheraient alors sur une neuvième. Ils veulent la «croissance» de leur portion. Les deux goinfres expliqueraient alors aux huit autres que si ceux-ci mangent, c'est aussi grâce aux miettes qu'ils laissent tomber en s'empiffrant. S'ils veulent plus de miettes, qu'ils les laissent manger plus ! Mais toute surconsommation d'un des acteurs, par rapport à une part équitable, se fait au détriment des autres.

L'urgence n'est donc pas au développement des deux goinfres, mais au contraire à leur décroissance économique, pour partager des ressources planétaires qui ne sont pas extensibles.

«C'est pourquoi le "développement durable", cette contradiction dans les termes, est à la fois terrifiant et désespérant ! Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l'espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l'épuisement des ressources naturelles... On pouvait ainsi réfléchir et travailler à un après-développement, bricoler une post-modernité acceptable. En particulier réintroduire le social, le politique dans le rapport d'échange économique retrouver l'objectif du bien commun et de la bonne vie dans le commerce social. Le développement durable, lui, nous enlève toute perspective de sortie, il nous promet le développement pour l'éternité !» Serge Latouche - Pour en finir, une fois pour toute, avec le développement. - Le Monde Diplomatique - Mai 2001.

Et ce qui est vrai pour les ressources l'est également pour l'énergie. Sortir du nucléaire sans réfléchir à ce préalable aurait peu de sens. Toutes les sources d'énergies présentent des nuisances. Grossièrement, pour partager le gâteau énergétique planétaire auquel nous avons droit sans altérer la biosphère, et en conservant une chance de survie à moyen terme, les Américains ont droit à moins de 10 % de leur consommation énergétique actuelle, les Français 20 %, les Chinois 60 %, les Indiens 120 %. Les Pakistanais peuvent doubler leur consommation et les Népalais la multiplier par 20 (3).

Ceci n'est réalisable que dans le cadre d'un développement de nos sentiments humanistes, d'une croissance de notre volonté de partage. Et cela ne sera désirable que de manière libérale, au sens philosophique du terme, c'est-à-dire de façon non autoritaire et démocratique, dans le respect des libertés individuelles.

Tout cela est bien sur l'antithèse du développement durable, escroquerie sémantique, dont il paraît aujourd'hui aussi urgent de sortir que du nucléaire. Il est désespérant de constater que des personnes qui ne sont pas issues du monde écologiste semblent mieux intégrer cette évidence. Ainsi le sénateur de droite Marcel Deneux concluait cette année son rapport sur l'évaluation de l'ampleur des changements climatiques : ...«De prime abord, le concept de "développement durable" peut rallier à peu près tous les suffrages, à condition souvent de ne pas recevoir de contenu trop explicite ; certains retenant surtout de cette expression le premier mot "développement ", entendant par là que le développement tel que mené jusqu'alors doit se poursuivre et s'amplifier ; et, de plus, durablement ; d'autres percevant dans l'adjectif "durable" la remise en cause des excès du développement actuel, à savoir, l'épuisement des ressources naturelles, la pollution, les émissions incontrôlées de gaz à effet de serre... L'équivoque de l'expression "développement durable" garantit son succès, y compris, voire surtout, dans les négociations internationales d'autant que, puisque le développement est proclamé durable, donc implicitement sans effets négatifs, il est consacré comme le modèle absolu à généraliser sur l'ensemble de la planète.»..

Dans ces conditions, il est logique que tous les plus grands pollueurs de la planète et carriéristes de la politique se soient rués sur le concept de développement durable, de la Dow Chemical Company à Jacques Chirac en passant par Noël Mamère.

Pourtant, voici plus de dix ans, Nicholas Georgescu-Roegen, le père de la bioéconomie, nous avertissait déjà : «Il n'y a pas le moindre doute que le développement durable est l'un des concepts les plus nuisibles». .

Ni le développement, ni la croissance, dans leur dimension économique, qui est celle entendu communément, ne peuvent être durables, car ils sont LA cause du caractère insoutenable de notre civilisation.. «On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui les ont engendrés» disait Einstein, et nous ne pourrons pas aller vers un monde plus écolo en proposant comme remède ce qui fait notre maladie. Notre société n'accepte que les discours politiques passant d'abord par l'économie ? Alors proposons lui la décroissance soutenable. Elle seule peut permettre à chacun de trouver sa place sur cette planète. Cela nous conduira logiquement à conclure à l'impérieuse nécessité de «sortir de l'économisme», et d'affirmer clairement le primat de nos dimensions politique, philosophique, spirituelle, poétique, sur le moyen économique.

Vincent Cheynet

1 - L'expansion 13/06/2002
3 - De Dassault à Lagardère, la presse française esr largement détenue par les marchands d'armes.
2 - Chiffre calculé à partir de la consommation énergétique de 1998 - manicore.com (UNFCCC, INED, CSE).
4 - Silence, n°280, Février 2002.

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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